Publication : 10 avril 2010.
Auteur : Elessar.
Mise à jour : aucune.
Poids : 1
Prix d'achat : 100.000 Po
Baduk : E24 Le Berceau, G22 Imprimerie des Terres d'Argent
Kedok : I5 Mémorial des Gulr
Légendes, mythes, contes. Depuis l'aube des temps, les hommes se repaissent de ces récits épiques mettant en scène créatures fantastiques et êtres divins. Ces hommes, êtres bipèdes et grossiers, puisent dans les livres et les orateurs la connaissance d'un monde imaginaire qui n'existerait que dans les songes des plus fous. Mais outre cette connaissance qui peut se résumer à l'adjectif d'inutile - car quel intérêt peut-il y avoir à connaître quelque chose qui n'existe pas ? -, peut-être y trouvent-ils là une quelconque échappatoire à leur vie bien trop morne et paisible...
Cependant, on trouve une autre catégorie de légendes. Celles qui trouvent leurs racines dans des actes véritables, et qui subissent l'usure du temps. Ainsi, au fur et à mesure que l'on raconte ce type de mythes, on en grossit volontairement les traits, afin de rendre l'écrit plus merveilleux encore.
Enfin, il est de ces histoires que nous tenons pour véridiques, et qui à la toute fin se révèlent n’être autres qu’un fabuleux tissu de mensonge, semblable à une illusion perdurant pendant un long moment… Voici venir l’ode d’Elessar, qui en son temps fut Censor de l’Ombre. Mythe, légende, ou réalité ? Parfois, il est bon de laisser le rêve s’installer…
Il fait nuit, une nuit froide que n’éclaire que le premier quartier d’une lune bien pâle. Au milieu des insectes chantant leur récital nocturne, mes hommes de main se glissent sans bruit dans la campagne. Je les suis à distance, devinant par le léger bruissement des feuilles quelques mètres devant moi les preuves de leur passage. Tout en faisant bien attention de ne pas me laisser distancer, je me remémore les évènements qui nous ont poussés, tous, à nous jeter corps et âmes dans ce dangereux périple.
Ce devait être un joli matin de printemps. Les bourgeons écloraient enfin, et le soleil, encore timide, éclairait de sa lumière les tours de la Cité. Tous, nous étions réunis sur la grande place de Nebullia, fêtant allègrement l’anniversaire de Santofalc, un jeune mage qui dépassait ce jour la barre des 22 années. C’était un évènement particulier, car avoir 22 ans revenait à devenir majeur, et donc à pouvoir se servir librement de ses pouvoirs. En tant que Censor de Nebullia, j’avais la charge de lui remettre la coiffe de l’ombre, qui symbolisait son appartenance à la communauté des ombres.
C’est alors qu’un curieux énergumène était arrivé. Borgne, les cheveux roux frisés, il conduisait une espèce de chariote branlante dont les roues semblaient menacer à chaque mètre de s’échapper de leur essieu. Tous, nous le regardâmes s’approcher. S’arrêtant finalement à quelques encablures de la foule, il descendit de la chariote, regarda la multitude qui s’étendait devant lui, et, d’une voix claire, prononça ces quelques mots :
« Oh là ! Où se trouve votre chef ? J’ai une nouvelle des plus importantes à lui apporter ! Allons, messires, ne restez pas bouche bée devant ma laideur, et répondez à ma question, il s’agit de vie ou de mort ! »
Aucun ne bougea. Tous, ils semblaient surpris de l’autorité que manifestait le visiteur. Il est vrai que nous n’étions guère habitués à nous faire apostropher de la sorte : en ces lieux magiques qui nous sont soumis, nous sommes les seuls maîtres, et nous nous étions accoutumés à ce que les voyageurs qui s’égaraient dans nos contrées nous témoignent davantage de respect que cela. Finalement, brisant le silence, qui, tel une massue, s’était abattu en nos rangs, j’élevais la voix.
« Qui es-tu, toi le borgne, pour parler avec autant de dérision au peuple gouvernant la contrée dans laquelle tu te déplaces ? Si tu cherches le régent de ce royaume des ombres, saches que c’est moi, Elessar, Censor de Nebullia, qui a pour charge de mener ces hommes et femmes. Allons, réponds, avant que la patience ne m’abandonne, et que je ne te fasse enfermer et torturer dans de sordides geôles ! »
« Pardonnez mon audace, sieur Elessar, mais me voici revenant de la terre que vous autres nommez l’Eden. J’ai appris une chose terrible, et qui, je suis sûr, vous permettra d’étendre davantage votre pouvoir. Peut-être préférez-vous que l’on en parle en privé ? »
Je ne savais pas si l’handicapé était sincère, où si c’était un piège. Après tout, je comptais un nombre impressionnant d’ennemis qui n’auraient pas hésité à payer les services d’un tueur professionnel, et ainsi mettre un terme à mon existence. Mais la curiosité l’emporta sur la prudence, et, d’un léger signe de la tête, je fis signe au borgne de me suivre. Nous nous engageâmes dans une petite ruelle qui bordait la place. En ce matin, l’air était doux quoiqu’un peu froid. Le dioxyde de carbone que nous expirions en marchant semblait disparaître en un volute de fumée dans l’air.
Je sentais à quelques mètres mes gardes du corps, épiant silencieusement l’individu que je menais dans le dédale de rues. Je me sentis confiant : si la chose venait à tourner mal, ils s’occuperaient sans problèmes de l’estropié. Tous deux, nous arrivâmes enfin devant la lourde porte en bois de chêne qui marquait l’entrée des appartements impériaux. Je n’avais pas la prétention de m’imposer comme empereur, ce poste revenant de droit à un Gulr, mais il me fallait impressionner le visiteur, et l’architecture ainsi que la décoration du palais en avait laissé stupéfait plus d’un. Aussi, j’ouvrais finalement les battants, et nous rentrâmes à l’intérieur.
Grâce aux torches qui brûlaient magiquement sans jamais s’éteindre, la chaleur emplissait ces murs, décorés de plusieurs tapisseries tissées par les plus grands, ainsi que de peintures valant des sommes astronomiques, fruits des campagnes guerrières victorieuses de nos aïeux. Me retournant, je voyais le visage déconfit du voyageur, et savais que j’avais là réussi mon entreprise : désormais, l’homme témoignerait un peu plus de respect envers ma personne, et envers mes semblables. Seulement en ces jours, le temps se faisait un luxe que je ne pouvais pas m’offrir : aussi, je le pressais de m’expliquer, de manière claire et concise, les raisons de sa venue en Nebullia.
« Censor Elessar, on a porté à mes oreilles la connaissance de l’existence d’un pendentif, qui, paraît-il, contient une larme d’une puissante divinité. Connaissez-vous aussi cet objet ? »
Je ne pouvais pas en croire mes oreilles. Bien sûr, je connaissais la légende : Eziak Gulr, le premier d’entre les Gulr, avait eu la chance infinie de voir et de discuter avec le Keya lui-même. Eziak – que je connaissais personnellement pour avoir été son préféré, ce qui m’avait permis de devenir Censor – ne m’avait cependant jamais parlé de cet entretien. Mais selon les anciens, le Keya aurait remis à Eziak un pendentif qui contenait une larme du Keya lui-même. Plus qu’un objet à la puissance magique inconnue mais cependant terrible, cette larme était un symbole. Elle était la preuve de l’existence du Keya, la preuve que le combat des Ombrae était une cause fondée et véritable qui trouvait son appui non dans des bases marécageuses et sombres, mais bien sur un pilier d’actes vrais passés.
Comment se faisait-il que le borgne connaisse l’existence du pendentif ? Car il faut savoir que la légende des larmes du Keya ne se transmettait que dans la contrée de Nebullia, et que quiconque étendait cette histoire au-delà de notre monde était passible de la peine de mort. Non, aucun Ombrae n’aurait pris le risque inconsidéré de raconter à un étranger nos secrets… Dès lors, il n’y avait plus qu’une seule solution. Mon cœur battait à tout rompre quant à cette idée. Le gueux avait trouvé le pendentif, ou du moins, il savait où le trouver. Enfin. La chance était donnée à la Legio de retrouver enfin l’objet de toutes les convoitises, la preuve de l’existence du Keya.
Je pressais l’énergumène de m’en dire davantage. Celui-ci me révéla alors qu’il avait entendu une conversation d’auberge, disant que l’Eglise possédait un énorme trésor dans un lieu tenu secret, trésor qui avait été complété voici peu d’une pièce rarissime qu’on disait preuve d’un culte hérétique. L’objet, d’après la description entendue, se composait d’une chaîne en argent, et d’une pierre rouge translucide dans laquelle semblait flotter une grosse goutte d’eau. Entendant ces mots, je n’en pouvais plus : la description était exacte. Se pourrait-il que l’objet existe vraiment ? Si oui, cela permettrait à la Legio de recouvrir enfin son statut dominateur… Il fallait se mette à la recherche de l’objet.
Les explications du pauvre ère expliquaient certes sa connaissance quant à l’objet, mais pas les raisons qui le poussaient à vouloir nous aider : après tout, nous n’étions guère aimés, le fait que l’homme soit venu jusqu’ici était déjà étonnant, mais qu’il nous permettre de retrouver notre grandeur passé, il devait y avoir anguille sous roche. Quand j’expliquais mes doutes au visiteur, celui-ci me répondit simplement qu’il désirait, lui aussi, recevoir l’enseignement des Gulr. Ces mots me firent sourire. Ainsi, l’homme croyait que n’importe qui pouvait faire partie de la Legio Ombrae ? Nous étions une caste solide, basée sur un principe qui n’acceptait en son sein que ceux qui y étaient destinés. En clair, on naissait avec ce destin, on ne l’acquérait pas avec l’expérience de la vie.
Une idée sordide me vint alors. Je m’étonnais toujours de la facilité avec laquelle je passais subitement de la sympathie à la cruauté. Je dis à l’étranger qu’il n’aurait qu’à sortir, et demander Voudlhir, celui-ci ce chargerait
de le former pour qu’il devienne l’un des nôtres. Dès qu’il fut sorti, j’éclatais d’un rire glacial. Il était sûr que le pauvre homme serait entre la vie et la mort dans une dizaine de minutes, agonie que ferait prolonger mon ami, des semaines durant, en lui ôtant paupières, ongles, langues et dents. Avant de, brutalement, mettre un terme à ses souffrances, par la pire des morts qui fût, l’asphyxie par crevaison des poumons.… Ainsi, l‘homme emporterait son secret dans la tombe. Maintenant, il me fallait agir. Je convoquais les meilleurs chasseurs de Nebullia, ainsi que les plus grands sages. Les premiers me seraient utiles dans ma quête, les seconds auraient pour tâche de découvrir l’emplacement du trésor.
Les recherches des sages durèrent une semaine. Une longue semaine, qui me parut interminable. Je faisais les cent pas devant les fenêtres béantes de la citadelle, attendant à chaque bruit derrière les portes de mon appartement l’emplacement du plus grand trésor qui fût jamais possédé, celui de cette Eglise médiocre et futile qui avait condamné le culte du Keya, le jugeant hérétique, et pour cela, qui n’avait pas hésité à s’emparer, dans le plus grand des secrets, du plus précieux joyaux qui n’avait jamais existé pour nous, faisant du coup de ce même objet un mirage, une légende vague, dont mille et une variantes existaient de par-delà notre empire. Puis, finalement, un sage vint à trouver, au moyen de l’étude des astres conjuguée aux services de nos meilleurs espions, la cache de ce fabuleux trésor. L’impatience m’assaillit alors, je fis réunir les plus puissants des nôtres, et, deux heures après l’annonce de l’endroit exact du trésor, nous nous mîmes en route.
Et me voila, après plusieurs semaines de marche, suivant mes hommes, sur le chemin de la vérité, car c’était de cela, assurément, dont il était question. Avec le pendentif, que je montrerai au monde, le doute ne sera pas permis. La sainte guerre de l’ombre prendra alors toute son ampleur, et devant nous, des nations entières se plieront, devant l’étendard sanglant de la très glorieuse Legio Ombrae. Et alors, le Keya reviendra sur cette terre sous forme physique, accomplissant ainsi les prophéties anciennes. Tant de rêves… qui peut-être un jour s’accompliraient. Et ce jour s’approche, à grand pas. Déjà, nous atteignons les montagnes bordant le volcan de Boudok.
Leur escalade dure plusieurs jours, mais finalement, nous nous trouvons au sommet, surplomba nt Vulcania et ses environs. Au loin, nous apercevons le but de notre marche forcée : ce petit chemin à même le roc, invisible en aval, mais bien visible pour les rares personnes s’étant déjà trouvées en amont. Et au loin, cette ouverture sombre… Nous y sommes enfin. Mon cœur commence à battre plus fort, et mon pouls s’accélère. Mes hommes m’observent. D’un signe de la tête, je leur indique que le moment est venu. Alors, nous descendons, et nous nous avançons sur le chemin de pierre, toujours vers cette ouverture, qui semble appeler à elle les dignes possesseurs des Larmes.
Nous voici à l’intérieur de la caverne. L’ouverture ne permet en fait le passage que vers une sombre salle, que déjà nous éclairons de nos torches à peine allumées. Au fond, une grande porte de fer. Sur chacun des battants, l’emblème de l’Eglise. Mettant alors toutes nos forces en communs, nous nous efforçons d’ouvrir la lourde double porte. La porte s'ouvre, dans un grincement. Stupéfait, je contemple les richesses qui s'étalent devant moi. J'ai enfin retrouvé l'endroit du Très Grand Trésor Papal. Je m'avance dans l'obscurité qui m'entoure. Rien à faire de tout cet or, de tout ce qui fait que certains se sont entretués. Aujourd'hui, je cherche un objet bien précis.
Je m’avance entre les étrangères qui abritent toutes sortes de richesses. Mes hommes prennent les allées latérales, afin que nul objet ne soit laissé au hasard. Tous, ils sont observés, sous toutes les coutures. Les coffres sont ouverts, et bientôt, un réel fouillis est déversé à même le sol, derrière moi. Je n’en ai cure. A quelques mètres, j’observe cet autel, fait de cristal, sur lequel scintille un diadème de couleur rouge sang. Je tombe à genoux, sous le choc. Le bruit des genouillères frappant la pierre froide de l’endroit, dans mon dos, m’indique que mes gardes ont fait de même. Nous l’avons retrouvé. Le pendentif. Hésitant, je m’avance alors, et c’est d’une main tremblante que je saisis l’objet. Je l’élève à la lueur de ma torche. Jamais je n’ai contemplé pierre si pure, si précieuse… Je passe alors le collier autour de mon coup.
Et alors, tout se passe très vite. Sous nos pieds, le sol se met à trembler. Ci et là, des failles se forment dans le sol, et bien vite, je me trouve encerclé par ces falaises qui se créent d’elles-mêmes. Pris de panique, je cherche une solution, quand un grondement sourd au-dessus de nous me fait lever la tête. Le plafond commence à subir le même sort que le sol, les murs se lézardent, mais au lieu de faire des lézardes noires, on voit briller à travers ses failles un éclat jaune fumant, et je comprends. Nous sommes situés sous le volcan, et là, une éruption se prépare. Nous n’avons pas le temps de fuir. Préférant ne pas voir ma fin en face, je ferme les yeux…
Et un éclat de lumière vient ouvrir mes paupières. Je suis dans ma chambre, en Nebullia. Je la reconnais aux fresques murales contant l’histoire du Suprematio. Que s’est-il passé ? Je porte une main à mon coup. Plus de pendentif. Et je comprends alors, la cruauté de la chose… Ce n’était qu’un rêve, une illusion, un mythe, brisé par le soleil se levant… Comme toute ombre… Un jour, je retrouverai ce pendentif. Et alors, je ferais comprendre à tous ce qu’est réellement le pouvoir.