Publication : 24/09/04.
Auteur : Maltabius.
Mise à jour : aucune.
Poids : 1
Prix d'achat : 25.000 Po
Baduk : G3 Bibliothèque de Baduk
Kedok : H22 La Plume de Mardeus
Boudok : B7 Aux écrits tôt
Retour aux sources :
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La nuit était claire ce soir-là, la lune faisait voir à tous, la puissance de sa lumière, éclairant du mieux qu'elle le pouvait tous les êtres qui ne trouvaient pas le sommeil. Ma journée avait été longue, de l'aube à l'aurore je m'étais mesuré à des effrits, mais au soir la récolte était bonne, plus d'une trentaine de bracelets en argent cliquetaient dans mon sac.
Je m'étais décidé à rejoindre la ville la plus proche afin de les troquer dans une bijouterie encore ouverte. La vente effectuée, je m'apprêtais à passer boire une chope de bière dans une taverne accueillante, lorsque je fût témoin d'une bien étrange apparition. Tout d'abord je cru avoir affaire à un fantôme, tellement le contour de l'être devant moi était flou et cerclé de lumière, mais ma vue se précisa et c'est finalement une forme humaine décharnée que je reconnu. Il ne semblait pas porter d'arme mais son attitude paraissait menaçante, dans ses yeux un reflet de couleur pourpre m'intriguait, et un frisson glacé me parcouru le corps. J'avais stoppé net à sa vue, et il était immobile devant moi, me barrant la ruelle dans laquelle j'étais engagé.
Moi qui d'ordinaire étais peu enclin à la peur, j'étais pétrifié par cet être sans même savoir pourquoi. J'eus le sentiment de déjà le connaître, pourtant j'étais certain de ne l'avoir jamais vu auparavant.
Autour de nous, plus un bruit, plus un mouvement, mes sens étaient comme arrêtés.
"Qui est tu ?" Demandai-je.
Sa réponse fût si rapide que je ne pût esquisser un mouvement.
En un instant il disparu à ma vue, et fût derrière moi, me saisissant par la nuque, collant son visage à mon oreille. Je sentais son souffle chuintant comme une atrocité, son odeur putride, et j'étais paralysé.
" Che suiiiis celuiiiii que tu attendaiiiis. Che suiiiis celuiiii que tu redoutaiiiiis. Che suiiiiis celuiiiiii que tu adoreeeeraas. Che suiiiiiis celuiiii que tu craindraaaaass. Che suiiiiis la réééponsssee à touuutes tes queessssstionnns "
Une douleur intense me parcourait le dos, comme si sa main essayait de pénétrer mes chairs entre les omoplates. Puis la douleur progressât, s'insinuant en moi jusqu'à me pétrifier le coeur, il me semblait qu'il le tenait entre ses doigts décharnés.
"Ne voiiit tu paaaas que tu eeeesss déjààà à moiiiiii ?"
Rien ne venait à mon secours, j'étais seul à sa merci, et l'espoir me quittait peu à peu.
Mais où était Xena, elle qui me protège, me conseille, me guide et suis mes pas. Là, rien, personne pour m'aider.
"Que me veut tu, démon ?? "
"Chh 'eeest toiiii que je veeeuux, et bientôoooot che prendraiiiiis moon dûuuuu "
Le silence se fît soudain, plus de chuintement à mon oreille, plus de douleur dans ma poitrine, plus d'odeur me révulsant les narines, plus de froid me glaçant les os. Il avait disparu.
Je restais encore un bon moment immobile, craignant qu'il soit encore derrière moi, et qu'à sa vue je perde la raison.
Puis enfin, lorsque je fus sûr qu'il avait disparu, je m'effondrais dans l'inconscience.
Je ne me réveillais que le lendemain, des malfrats en avait profité pour me faire les poches qui heureusement étaient bien vides depuis la veille, ma tête me faisait horriblement souffrir, mais le souvenir de mon aventure de la veille était le plus douloureux. Il fallait que je sache qui était cet être qui m’avait agressé, je devais me renseigner rapidement car il me semblait déjà que j'allais devoir le rencontrer de nouveau et je voulais être capable de l'affronter cette fois-là. Il me fallait remonter aux sources de mon existence car j'étais persuadé d'avoir eut affaire à lui par le passé.
Mon passé .... Oublié depuis longtemps, le plus lointain souvenir que j'en avais remontait à mon réveil sur les terres de Silver World, alors que j'étais déjà âgé d'une trentaine d'année. Mais avant .... Qu’avait donc était ma vie ??
Ma décision fût vite prise, j'allais entreprendre un long voyage aux origines de ma vie. Un nouveau but allais remplir ma vie : la recherche de mon passé ....
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Ma décision avait été prise quelques jours plus tôt, et je m'apprêtais à respecter mon choix.
Je devais me rendre sur les lieux de mon ultime souvenir, sur les terres de Baduk, là ou j'étais né pour la deuxième fois, là ou j'avais commencé à reconstruire une vie sur des ruines de mon passé enfoui.
Après plusieurs jours de marche, me dirigeant tel une boussole vers le point que je m'étais fixé, j'avais les yeux cernés de fatigue, mes nuits étaient peuplées de cauchemars ou l'être décharné qui m'avait attaqué réapparaissait sans cesse, me tourmentant inlassablement.
Enfin la ville de mes derniers souvenirs apparut à mes yeux. J'étais ému comme si je revoyais le lieu de mes origines. Je me rendis immédiatement à la taverne ou j'avais erré quelques temps, passant mes journées entre l'alcool et les bagarres d'ivrognes. Là ou j'avais dormi sous les tables, là ou j'étais devenu un temps, un simple déchet humain. Les souvenirs refoulaient par vague, et j'en avais des haut-le-coeur.
C'est ici que Croquette m’avait trouvé un jour somnolant. Elle m’avait parlé longuement, et sa douce voix m’avait apaisé. Tout d'abord l'incompréhension m’avait habité, pourquoi me parlait-elle ? Qui était-elle pour s'intéresser à moi ? Mais ses paroles étaient justes et pures, et peu à peu, à force de patience je me rendis compte que bien malgré moi je l'écoutais.
Puis elle m’avait parlé de Xena, et une nouvelle vie m’avait été offerte. Rejoindre une troupe de fiers compagnons, tous prêts à mourir les uns pour les autres, et moi qui ne croyais en rien, j'avais embrassé cette opportunité, car sans but ma vie était devenue inutile.
Mais il me fallait remonter avant cet épisode de ma vie et retrouver des personnes qui m'avaient côtoyé auparavant.
Je questionnais le tavernier, sorte de caricature possédant tous les attributs du tenancier tel que l'on se l'imagine. Rondouillard, rougeaud, parlant fort, empestant le mauvais vin, mal rasé, et pire que tout jurant comme un charretier.
" Holà, aubergiste, sert moi donc une chope de bière, et trinque avec moi "
Il ne se fit pas prier.
"Hé hé ! Tiens donc ! Par les mamelles puantes d'une femelle gnoll, vous voyez ce que je vois ! Que je soit changé en cul de gobelins si ce n'est pas ce vieil ivrogne de Maltabius qui nous revient enfin !!!"
Je le repris immédiatement.
" Assied toi, parle moins fort, et garde tes familiarités pour tes clients habituels. J'ai changé depuis que je suis parti. Aujourd'hui je suis un Lord."
Au lieu de le faire taire, ma remarque le fît hurler plus fort encore.
"AHAHAH !!! Pet de troll, elle est bonne celle-là. MONSIEUR le Lord a sans doute oublié les trois mois passés à cuver sur mon comptoir, plus vaseux qu'un blob. AhAh ! Tu faisais moins ta fière pucelle à cette époque."
Je le saisis par le col de sa vareuse et plongea mon regard dans le sien. Mes yeux en dirent plus long que mes paroles car instantanément son ton baissa.
"Hola ! Faut pas s'énerver, je peux pas savoir moi, bon calme toi, qu'est-ce qui me vaut ta visite ?"
" Raconte moi ce que tu sais de moi, avant la période ou je fus à deux doigts de m'embourber dans ta taverne."
" J'en sais rien, foutredieu. Tout ce que je peux dire, c'est que la première fois que je t'ai vu, tu tenais à peine debout, tu pissais le sang de partout, tu avais un coutelas à la main et tu sortais d'on ne sait ou puisque personne t'avais jamais vu. T'es rentré dans mon auberge, tu t'es tenu une minute à la porte et tu t'es effondré. Nous t'avons couché sur un banc, un mage de passage t’a fait quelques emplâtres pour stopper le sang. Au bout de trois jours tu t'es réveillé l'air complètement ahuri et tu es resté là jusqu'à ce que tu partes avec une belle guerrière. Tu nous as jamais rien dit sur ce qui t'étais arrivé et personne t'as jamais posé de questions, c'est pas le genre de la maison."
" Personne ne peut me dire d'ou je venais ?"
"Ben, plus tard j'ai entendu des ragots de vieilles qui disaient que tu étais arrivé en ville par le Nord ou il y a la forêt de Frisoul et plus loin les terres du royaume de l'Orobe."
" Humpff ! Maigres informations, mais il faudra bien que je m'en contente."
"Pour sûr, cornes de bouc, je sais rien de plus, nom d'une putain vérolée"
Ses propos commençaient à m'irriter les oreilles et mon geste fût brusque et violent. Je lui assénais un puissant coup de tête, il basculât en arrière et s'écrasât au sol. Dans ma main il restait encore le col de sa chemise.
" Tiens, margoulin, pour t'apprendre les bonnes manières."
J'attrapais mon fléau, mon pavois, j'enfilais mon casque, puis je sortis de l'auberge et quittais la ville empruntant la route du Nord.
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Un craquement. Mon esprit s'éveille. Je tends l'oreille. Plus de bruit, puis soudain, encore un craquement, le bruit d'une branche qu'on déplace. J'entrouvre mes paupières, l'aube est encore jeune, le soleil n'est pas levé. Je perçois une présence toute proche, prés du lieu ou je me suis endormi hier soir, une espèce de cavité à l'abri du vent pas très loin de la sortie de Baduk, cachée des regards par un arbre mort. Mon feu est éteint mais je sens encore sa chaleur dans les cendres. Encore un bruit, là, dehors. Sans briser le silence de ma cachette, je me lève calmement. Je ramasse mon arme, délicatement, comme si elle était une partie de moi. Je m'approche de l'ouverture par laquelle me parviennent les premières lueurs du jour et les bruits qui m'ont réveillés.
Ils sont là, deux hommes, fouinant, farfouillant, grattant la terre, jetant des regards au-dessus de leurs épaules comme si ils avaient peur d'être surpris. Je ne mets pas longtemps à comprendre à qui j'ai à faire. Ce sont deux détrousseurs de cadavres, deux voleurs à la recherche d'un butin, deux vulgaires pilleurs de tombes. Hier soir je ne l'avait pas remarqué dans la pénombre, mais là je les voit. Trois petites tombes, côte à côte, comme si trois membres d'une même famille avaient été ensevelis ici. Et penchés sur elles, ces deux hommes sans scrupules déplacent les pierres composant ces mausolées pour chercher quelques bijoux.
Ils me répugnent ces bâtards, je me demande qui des morts qu'ils déterrent ou bien d'eux mérite le plus le nom de charogne. Tout à mon observation je fais tourner le manche de ma masse dans ma main droite tandis que la gauche s'est posée machinalement sur le petit pendentif qui trône à mon cou. Il n'a aucune valeur marchande, c'est d'ailleurs moi qui l'ai taillé dans un vulgaire bout de bois, mais à mes yeux il représente Xena. En posant la main sur lui, je pense à elle. Je lui demande de m'aider à faire le bon choix et comme toujours je ressent sa présence à mes cotés. Elle me dit qu'elle a confiance en moi, et guidera mon bras s'il hésite, puis je crois entendre un sussurement comme un écho : "ffffffffais couleeeeeeeer le ssssssssang."
Je m'approche des deux hommes. Ils ne m'entendent pas, tout occupés qu'ils sont à sortir un corps de sa dernière demeure. Je m'arrête à deux mètres d'eux et attend qu'ils me repèrent. L'un d'eux se retourne, et signale ma présence à son complice, ils se relèvent, me font face, portent la main à leurs armes rudimentaires. L'un a un poignard mal affûté à la ceinture et l'autre brandit une espèce de griffe à trois branches qui doit lui servir à retourner la terre.
Nous nous observons sans mots dire, je tient toujours mon pendentif dans la main gauche, quand à eux, ils hésitent, me jaugent, se demandant quelle chance ils ont de se débarrasser de moi sans dégâts. L'un d'eux s'adresse soudain à moi : "Héhé, et ben reste pas planté là. Allez, viens nous rejoindre, en plus t'as l'air costaud, on est pas contre un p'tit coup de main, tu sais quand y en a pour deux, y en a pour trois."
Je comprend avec effroi sa méprise, il m'a pris pour l'un d'eux. Moi un Lord qui n'ai jamais levé la main sur personne qui ne m'ai provoqué, il me confond avec un vulgaire charognard. La colère m'envahie : "Je ne suis pas comme TOI, bâtard, je laisse les morts en paix, tu vas goûter ma masse."
En une seconde mon choix est fait, je vais les tuer tous les deux, ils m’ont offensé et de plus ils ne me laisseront pas partir après avoir été témoin de leur méfait.
Mon arme s'élève au-dessus de ma tête à une vitesse qui les surprend. Ils n'esquissent pas un geste, ils ne semblent pas comprendre, leurs yeux s'écarquillent et à la place de l'inquiétude je peux maintenant y lire de l'effroi. Pour moi le temps s'est arrêté, j'observe tel un spectateur leur gestes au ralenti, leur visages qui se tendent vers le ciel guettant ma masse, leurs mains figées sur leurs armes, leurs bouches ouvertes en deux ronds parfaits. Lorsque mon arme retombe, celui que je vise à juste le temps d'esquisser un geste pour protéger sa tête de sa main désarmée. Elle se retrouve prise comme entre le marteau et l'enclume et c'est le bruit de ses phalanges qui se brisent qui romps le silence. Puis sa bouche se referme, et sous la violence du coup trois ou quatre de ses dents éclatent. Ses yeux semblent vouloir sortir de leurs orbites et un craquement sonore m'indique que son crâne a cédé. Un filet de sang jaillit de cette ouverture et coule sur son front, glissant sur l'arête de son nez, séparant son visage en deux. Il s'affaisse sur le sol avant même d'avoir compris qu'il est mort.
Son complice n'a pas bougé non plus, pris de vitesse, tétanisé par la peur, il a observé la scène sans paraître comprendre, mais le bruit de son compère tombant à terre semble le faire sortir de sa torpeur. Il me regarde fixement ne sachant que faire. Il esquisse un pas en arrière, puis un deuxième et se retrouve acculé à la tombe qu'il violais. Il s'immobilise, il sait que s'il tente de s'enfuir, il n'aura pas le temps de finir de se retourner avant que je ne frappe. Il attend, hagard, autour de nous la nature ne semble pas s'être interrompue, comme si j'agissais en harmonie avec elle et que je ne la troublais pas. Je savoure le moment, le temps d'un instant et tout sera fini. Je me rend compte que si je ne fait pas le premier geste, nous allons rester bloqués ici pour l'éternité. Il semble tenter de se fondre dans l'air, espérant que s'il ne bouge pas, je vais peut-être l'oublier. Je dois me décider à rompre ce moment de calme. Alors je laisse tomber ma masse à terre. Ses yeux semblent ne pas croire ce qu'il voit, mais contrairement à ce que je pensais il ne met pas longtemps à réaliser. Il se dit que c'est sa chance, croyant que mon arme m'a glissé des doigts et il se rue sur moi, son poignard tendu à bout de bras, visant ma poitrine, espérant atteindre un organe vital, priant pour me tuer. C'est exactement ce à quoi je m'attendais, j'avance d'un pas à sa rencontre et saisi son arme par la lame de ma main gauche, tandis que la droite se referme sur son cou et le stoppe net dans sa course.
Il est là, bloqué, immobile, il réalise à peine ce qui lui arrive. Il n'a pas lâché son couteau et ne comprend pas pourquoi il ne peut plus le bouger. Entre mes doigts je sens mon sang qui coule, chaud, je ressert ma prise et savoure la douleur. Ma main agrippant son cou est devenue pierre, jamais je ne relâcherai mon étreinte. Je perçois sous mon pouce sa carotide et le sang qui cherche à se frayer un passage pour irriguer son cerveau. Peine perdue, son visage se colore, passe du rouge au violet, il n'arrive plus à respirer, ni à réfléchir, il fini par lâcher son arme et de ses deux mains tente de me faire lâcher prise. Mais il est déjà trop tard pour lui, il n'a presque plus de force, je le regarde, approche mon visage du sien, plante mes yeux dans son regard. Soudain sa pomme d'Adam cède et des dizaines de petits morceaux de cartilage percent sa trachée, il s'étouffe, les vaisseaux de ses yeux éclatent les uns après les autres, et il meurt là entre mes doigts sans avoir pu reprendre une seule inspiration.
Je lâche son corps inanimé et enroule ma main blessée dans un linge, encore une blessure qui me rappellera des souvenirs. Le soleil se lève à peine et déjà le sang à coulé, mais pas le temps de m'attarder, ma quête doit se poursuivre.
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Six jours que j'errais à travers la foret de Frisoul sans rencontrer âme qui vive. Six jours à me demander si je n'allais pas être obligé de rebrousser chemin tellement j'étais sûr que l'aubergiste m'avait envoyer me perdre. Le fourbe, si cela s'avérait juste il me le paierait plus tard, je retournerais le crucifier sur son comptoir. La végétation étais de plus en plus dense, la faune de plus en plus agressive, pas l'ombre d'un chemin à emprunter, aucune trace de vie humaine, qu'avais-je bien pu avoir à faire ici, pourquoi m'être perdu dans cet enfer vert ?
Au matin du septième jour, des bruits retinrent mon attention, je me cachait pour observer leur source mais ne vit rien. Puis soudainement je fus encerclé par une quinzaine de guerriers. Du rôle de chasseur je venais de passer à celui de proie, et il me semblait que cela faisait déjà un moment qu'ils m'avaient repéré, peut-être même plusieurs jours qu'ils me surveillaient.
C'était de petits hommes au teint cuivrés, les cheveux noirs comme le charbon, peints sur tout le corps à l'aide de pigments végétaux, leurs habits faits de feuilles tressées, tenants des armes rudimentaires qui semblaient capables toutefois de me terrasser si leurs possesseurs savaient s'en servir comme je l'imaginais. L'un d'eux portait une coiffe faite de plûmes de Coquatrix aux couleurs éclatantes, reflétant les quelques rayons de soleil qui parvenaient à transpercer le feuillage. Il avait autour du cou un collier composé de dents de toutes tailles dont certaines me paraissaient appartenir à des êtres humains et d'autres à différents animaux tous plus féroces les uns que les autres. Il tenait une grande sarbacane taillée me semblait-il dans une patte de tarentule géante, et me mettait en joue.
J'étais dans une situation bien périlleuse et je cru que ma vie allait une fois de plus se jouer à peu de chose. Je quittais doucement mon casque en signe d'apaisement, et le regard de celui qui semblait être leur chef se changeât en un instant. D'un coup il me paru que je leur faisait peur, et les armes se baissèrent. Incrédule, je m'avançais d'un pas vers le porteur de coiffe qui fît signe aux autres de se tenir prêt.
"Toi. Revenu. Pourquoi ?"
Apparemment je lui rappelais plus de souvenirs qu'il ne m'en apportait. Leur langage étant semble-t-il rudimentaire, je pris le parti de m'exprimer le plus simplement possible.
"Je suis déjà venu ici ? Quand ?"
"Trois années. Toi traverser forêt. Toi pister jolie femme. Toi porteur de douleur. Nous regarder toi passer. Nous pas intervenir. Toi regard fou. Toi marqué par main de Ah Puch."
"Qui est Ah Puch ?"
"Ah Puch grand dieu de mort. Toi être son messager. Nous rien dire, rien faire contre toi. Nous indiquer piste jolie femme. Toi parti avec Ombre de Ah Puch. Nous plus jamais voir toi"
"Ou allais cette piste ?"
"Village hommes blancs. Six jours de marche"
"Et d'ou est-ce que je venais ?"
"Toi venir du fleuve. Nous trouver barque à toi plus tard. Toi venir des sources au Nord."
Et bien, alors que l'espoir me quittait, finalement il semblait que j'étais toujours sur ma piste, remontant le fil des événements, progressant petit à petit. J'allais devoir prendre congé des petits hommes, en essayant de ne pas les brusquer pour ne pas déclencher une riposte. Je les effrayais, j'en étais à présent sûr, mais ces sauvages savent affronter leur peur, et un geste brutal de ma part suffirait à les rendre belliqueux, prêt à défendre chèrement leur vie. Je tentais néanmoins de profiter de l'avantage que m'apportait la terreur que je leur inspirais.
"Je pars, baissez vos arme, ou Ah Puch vous punira"
Le chef me répondit : "Toi plus être messager de Ah Puch. Toi maintenant être sa proie. Toi partir vite. Toi quitter forêt. Toi jamais revenir, sinon nous être obligés tuer toi."
Malgré l'incompréhension, je me hâtais d'obéir, mieux valais ne pas traîner ici, ne pas jouer avec la chance de peur qu'elle ne m'abandonne.
Je repris donc ma route, regardant par dessus mon épaule tout en m'éloignant.
Je tombais rapidement sur la rivière, elle ondulait paresseusement entre ses deux rives, et au loin je vis qu'elle remontait vers le Nord. Encore et toujours le Nord, qu'allais-je découvrir en m'y rendant, n'allais-je pas finir par me jeter dans la gueule du loup. Si je comprenais bien, j'étais venu du Nord, poursuivant une femme, traversant moult embûches, et perdant sa trace dans le village ou Croquette m’avait trouvé. C'est là que je semblais avoir perdu la mémoire, oubliant ma mission et ne l'achevant jamais. Allais-je pouvoir la finir un jour, et en quoi consistait-elle ?
Que de questions, mais j'étais sur la bonne voie et sans doute que des réponses me seraient données au bout de ma route. Le courant étant très faible, j'entrais dans l'eau et me mit à remonter son fil tout en rêvassant, cherchant toujours à me souvenir, essayant de retrouver des détails. J'observais tout au long du chemin si quelque chose me rappelait mon passé, mais rien ne revenait.
Je rencontrais une petite chute à une journée de marche, puis la rivière se mettait à serpenter de plus en plus en amont, traçant son parcours dans une foret de moins en moins fournie pour devenir au bout du compte une lande relativement désertique. Au deuxième jour de ce décors, je vis se profiler à l'horizon une ville, majestueuse, immense, une des plus grande que j'avais jamais vu. Un brouhaha continu semblait s'en échapper, alors que j'étais encore à des lieux de ses premiers faubourgs.
Ma prochaine étape approchait.
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A l'approche de la cité, je décidais de m'arrêter quelques heures pour pénétrer dans la ville à la tombée de la nuit. La découverte de cette citadelle géante fût une magnifique expérience pour moi. J'ai d'ailleurs inscris mes premières réflexions sur la face intérieure de mon pavois. Je ne trouve pas mieux pour vous faire comprendre mon impression que de vous les transmettre telles quelles.
"Après deux semaines de voyage solitaire,
Ou seul le silence troublait mes pensées,
J'ai l'impression d'entrer dans une fourmilière,
Tellement pleine de bruit que je manque m'asphyxier.
Tout d'abord les faubourgs pleins d'échoppes colorées,
D'où mille parfums s'échappent, d'où mille odeurs m'assaillent,
Des tissus, des bijoux, des tentures, des colliers,
Armes de toutes formes côtoient tuniques de toutes tailles.
Des centaines de races différentes s'y mélangent,
Commerçants, prostituées, mercenaires, détrousseurs,
J'y croise à la fois des démons et des anges,
Mais tous sont animés de la même torpeur.
Tout ce vend, tout s'achète, et l'argent coule à flot,
Les regards sont sournois, car chacun se méfie,
Ils gardent tous la main sur leur belle bourse en peau,
Prêts pour la conserver à y perdre la vie.
J'aperçois au détour d'une petite ruelle,
Une jolie créature au cou d'un fier guerrier,
Puis en un éclair je constate que la belle,
Attrape un grand couteau, et va le poignarder.
La lune bienveillante au dessus du marché,
Les regarde tous vivre, petits êtres chétifs,
Sa grosse face ronde semble bien s'amuser,
De les voir s'écraser comme vagues sur récifs.
Tout ce monde grouillant qui se croit exister,
S'agite en tout sens, tout en brassant de l'air,
Et bien malgré moi je me surprend à penser,
Au temps béni où tous, redeviendront poussière.
Cette faune interlope soudainement m'horripile,
Moi qui suis tolérant, mon fléau m'invite,
A tous les massacrer pour les mettre en pile,
Et ainsi libérer cette ville au plus vite.
Je cours dans des jardins, je me met à l'écart,
Cette touche de nature apaise mes pensées,
Là je respire enfin, l'air complètement hagard,
Je ferme mes deux yeux et je reprends pied.
Voila, c'est à ce moment, essoufflé, mais reprenant mes esprits dans ces jardins que j'ai écris ces quelques vers sur ce qui venait d'arriver. Cette ville je la connais j'en suis sûr, ce sentiment qui remonte en moi m'en a convaincu. Je suis sur la bonne piste, je suis déjà passé là, et à mon avis, vu ce que je ressens, il a dû ce passer des choses terribles lors de ma première visite.
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Après une nuit de repos, je me lance dans la recherche d'une personne qui m'apportera l'aide dont j'ai besoin pour me souvenir. Je récapitulais mentalement les indices que j'avais découvert : Arrivé dans cette ville par le passé, j'étais aux trousses d'une jeune femme qui me précédait. Quelle était la première chose à faire pour la trouver ? Je m'imaginais dans cette situation que j'avais déjà dû vivre et une réponse m'apparut. La ville était immense et il est sûr que son arrivée avait dû passer inaperçue, les seules personnes qui auraient pu la remarquer étaient les gardes à l'entrée des faubourgs, j'avais donc dû les interroger à ce sujet, et il me fallait les retrouver.
Le poste de garde ne fût pas difficile à repérer, et je m'y rendis immédiatement. Accostant le premier que je trouvais, je le questionnais sur le champ.
" Dis moi, fier guerrier, je doit rencontrer un homme qui a été chef du poste de garde il y a de cela deux ou trois ans, peut tu me conduire à lui ?"
"Je ne peux pas quitter mon poste mais je peux t'indiquer où il doit être. Le nouveau chef a pris ses fonctions il y a six mois, mais avant lui un homme a dirigé ce poste durant plus de vingt ans, ce doit être à lui que tu fais référence. Il a abandonné sa place et il est devenu forgeron. Tu trouveras son échoppe sur la place principale de la ville, son nom est Remura."
Après l'avoir remercié je filais à cette boutique, et y pénétrais sur le champ.
L'armurier était là, derrière son comptoir, l'endroit regorgeait de multiples armes et pièces d'équipements, toutes rutilantes, de magnifiques casques ouvragés pendaient aux murs, des armures sur pied décoraient chaque recoins, des épées, des masses, des lances, sur un coté une vitrine emplie de paires de bottes aux gravures barbares, des boucliers de très belle facture empilés à même le sol, des centaines de dagues aux reflets colorés faites de métaux forgés et serties de pierres. Pour sûr, son magasin devait être un des plus prisé de la ville.
Il me reconnu aussitôt qu'il me vit et dégaina un coutelas immense de sa ceinture.
"Toi ? Tu es revenu en ville ? Sache que je ne t'ai pas encore oublié mercenaire, et que pour moi ta tête est toujours mise à prix"
"Du calme Remura, puisque c'est ton nom, je ne suis pas revenu pour me battre. J'ai changé, je suis un autre homme, et j'ai perdu la mémoire. Si je suis ici c'est pour que tu m'aides à retrouver mon passé pour réparer les erreurs que j'ai commis"
"Réparer ? A moins d'être un grand nécromancien capable de ramener les morts à la vie, je ne voit pas comment tu pourrais réparer quoi que ce soit, assassin"
"Je t'en pris, dit moi ce que j'ai fait de si terrible"
"Je vais te le dire ce que tu as fais, c'est facile pour moi de me souvenir car il ne c'est pas passé une nuit sans que je revois ces événements dans mes cauchemars. Tu es arrivé à l'aube, surgi de nulle part, et tu as questionné les deux hommes en poste au sujet d'une jeune femme. Les deux soldats t'ont rétorqué que leur travail ne consistait pas à renseigner les chasseurs de prime. Vif comme le vent, tu as sorti une lame empoisonnée et les as poignardé en un instant. Ils sont morts en vomissant leurs tripes, le visage cramoisi de douleur, hurlant leur souffrance. La relève de la nuit qui dormait dans l'arrière salle s'est réveillée et tu leur as bondi dessus, ne leur laissant aucune chance. Tu as égorgé un jeune guerrier et brisé le cou de l'autre. J'ai tout vu de mon bureau. Puis tu t'es dirigé vers moi et mon aide de camp. Tu lui as mis ta lame sous la gorge et as réitéré ta question. Le pauvre avait à peine vingt ans et il c'est vidé sous lui pendant que tu ricanais. Il t'a donné ton renseignement, t'expliquant que la jeune femme avait quittée la ville la veille au soir. Elle s'était reposée une journée, prés du poste et venait de la contrée de Madour où ses parents étaient de grands seigneurs, d'après ce qu'elle a dit. Alors tu lui as dit : "Merci jeune victime" et tu lui as tranché la tête qui a roulée au sol jusqu'à mes pieds. Tu as levé tes yeux sur moi et j'ai vu ma dernière heure arriver, mais tu as dit : Je te laisse en vie, pour que tu puisse raconter que Maltabius le Sanglant est généreux. Tu es parti dans un grand éclat de rire et tu as disparu aussi vite que tu étais venu."
"Alors ? La mémoire te revient, tueur d'innocent ?"
"Non, désolé, mais tout ça ne me dit rien du tout. Encore navré du mal que j'ai fait, mais je doit continuer ma route pour savoir enfin."
"Pas question, j'ai répondu à ta demande, maintenant à toi d'accéder à la mienne. Depuis trois ans je rêve que je venge mes hommes, et je n'en puis plus de ces cauchemars incessants, tu doit accepter un combat à mort pour que, soit je calme mon esprit en te tuant, soit tu m'accordes le repos salvateur que j'appelle de mes souhaits."
Et joignant le geste à la parole, il saisit un petit bouclier, et passa de mon coté du comptoir son arme à la main. Malgré sa dextérité de soldat, il n'était pas tout jeune et mes réflexes sont immédiats, mon fléau l'atteignit donc avant même qu'il n'est pu me porter un coup. Il s'écroulât au sol, assommé mais encore en vie, son casque de cuir bouilli l'ayant relativement protégé. Je ne pu me résoudre à l'achever, peut-être que dans le futur il croiserai encore ma route pour parvenir à sa vengeance, mais pour l'instant je comprenais son geste et le pardonnais.
Je filais immédiatement quittant cette citadelle ou j'avais fait couler tant de sang. Mon histoire était bien sombre et mon coeur s'obscurcissait de jour en jour. Quel homme avais-je été par le passé ?
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Sur la route de Madour mon esprit était embué de questions. Quel était mon véritable et nécessaire but ? Devais-je trouver les sources de mon passé ou plutôt poursuivre ma recherche de cette jeune femme que j'avais jadis pourchassée. Quelle direction allait m'apporter mes réponses ? Ainsi perturbé j'allais m'assoupir redoutant une nouvelle nuit de cauchemar, lorsque "il" revint.
Depuis le début de ma quête il m'avait laissé en paix, mais ce soir dans une odeur de souffre il m'apparut pour la seconde fois. Mon sang se glaça pour la seconde fois.
Le démon chuintant de tenait devant moi, à sa ceinture trois crânes pendaient mollement, s'entrechoquant à chacun de ses mouvements. Il était recouvert d'une longue cape noire et ne portait pas d'autres armes que ses doigts squelettiques prolongés par des griffes de belle taille. Il me scrutait de ses orbites vides, respirant fortement, l'écume aux lèvres. Le froid avait encore une fois envahie l'atmosphère et mon souffle produisait de petits nuages de vapeur. Il semblait attendre une réaction de ma part, et à la vue de notre première rencontre j'appréhendais de tenter quoique ce soit.
Je saisis mon fléau, mais encore une fois il me prit de vitesse. Il fit un mouvement de la main et mon arme s'envola hors de ma portée.
"Que fffais tuuuuu, pauvree fffou, n'as tuuuu pas encoore compriiiis que tu ne peeuut rien contre moiiiiii "
"Tais toi, charogne, que fais tu ici ? Que me veut tu ?"
" Cheee viens t'aider à ccchoisssir ta route"
La stupeur me gagna, comment pouvait-il connaitre mes pensées et savoir le doute qui m'habitait ? Je compris alors que j'étais lié à lui.
"Va en Madouuur, tes réponssssses sss'y trouvvvent"
Une lumière éblouissante l'entoura soudainement, et le temps de cligner des yeux, il avait disparu.
J'étais abasourdi, ainsi il me surveillait, et guidait ma route. Fallait-il que je suive son ordre ou bien me lançait-il vers une mauvaise piste. Toute la nuit j'y réfléchis et je finis par décider de continuer mon chemin vers Madour, espérant ainsi qu'il ne m'apparaîtrait plus.
Au matin je rangeais mes affaires et repris mon chemin, mon âme me faisait de plus en plus souffrir, la route semblais m'attirer vers le néant, les nuages étaient noirs et mon visage reflétait la sévérité de la peur. Plus j'avançais et plus mon coeur se crispait dans ma poitrine, rendant ma respiration difficile. J'étais empreint de terreur et à l'affût du moindre bruit, je sursautais à chaque souffle de vent, tentant de garder l'ascendant sur mes nerfs. Un changement insidieux s'opérait en moi, mes humeurs devenaient sombres, mes gestes gagnaient en violence, j'étais moins enclin à la pitié, cela je le découvrais petit à petit, au fil de mon expédition. Peut-être étais-je en train de redevenir celui que j'avais été.
La journée passée à marcher fût une épreuve terrible pour moi, il me semblait que j'avançais tel l'agneau marchant vers l'abattoir ou le boucher l'attend une masse à la main. Mes pas m'emportaient malgré moi tel un mort vivant. Le soir vint, et dans le coucher du soleil je vit alors les premières chaumières de la ville de Madour. C'était là la conclusion de ma quête, j'en avais la certitude. Ici j'allais tout découvrir sur ma vie antérieure et j'étais tétanisé à cette idée. Une courte prière à Xena pour me redonner courage et je fit mon entrée en ville.
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J'entre dans la ville, l'obscurité me protège, la rue est vide, pas un chat. Je regarde de tous cotés cherchant un indice, un repère, quelque chose sur quoi accrocher mon regard et qui me rappellerai une image du passé. Je tremble, je suis fébrile, j'ai peur mais je continu à avancer. Soudain je me rends compte que sans savoir où je vais, j'avance tel un pantin, comme si une main géante invisible me manipulait. J'arrête de réfléchir et je me laisse guider. Mes pas me mènent à travers toute la ville et j'arrive enfin devant une grande bâtisse sombre.
Je suis là, immobile, comme planté, enraciné. J'approche de la porte et je frappe. J'entends des pas et la porte s'ouvre. Un homme apparaît et m'interroge du regard.
"Bonsoir messire, puis-je vous aider ?"
"Et bien, ma question peut vous surprendre, mais me connaissez vous ?"
"Ma foi non, vous ai-je déjà rencontré par le passé ?"
"Je ne peux le dire, j'ai perdu la mémoire, mais il semblerai que je soit passé par ici il y a environ trois ans."
A ces mots ses sourcils se froncent et ses yeux s'écarquillent.
"Et bien, je vis ici depuis seulement 18 mois, mais j'ai entendu dire qu'il y a trois ans un massacre à été perpétué dans cette maison. On raconte qu'un guerrier est venu, porté par le souffle du démon, et qu'il a étripé le couple de seigneurs qui vivaient ici, ainsi que leurs douze domestiques, les cuisiniers, les jardiniers et tout le reste du personnel, en tout 29 personnes. Seul le précepteur de leur fille, le pasteur Simon, a survécu. Il est depuis ce jour enfermé au sanatorium sur la colline à l'ouest de la ville, il a semble-t-il perdu la raison. Mais, ne me dites pas que c'est vous ce guerrier ?"
Je m'empresse de le rassurer.
"Non, ne vous inquiétez pas. Je vous remercie de vos renseignements, bonne nuit à vous."
Je me hâte de le quitter avant sa réaction. Je retraverse la ville en direction de l'Ouest. Le sanatorium n'est pas difficile à trouver. Une grande bâtisse taillée dans une pierre noire comme le charbon. De nombreuses ailes de chaque coté, des grilles ouvragées, de grandes portes de chênes, des jardins mal entretenus, des vitres cassées, d'immenses cheminées qui crachent leur souffle brûlant. Je distingue la lueur vacillante de quelques bougies derrière les carreaux fumés. Je fais tinter la cloche de l'entrée et un moine vient m'ouvrir.
"Bonsoir mon fils, que puis-je pour vous ?"
"Je viens pour rencontrer le pasteur Simon."
"Le pasteur est malheureusement dans un état très grave. Il n'a pas parlé depuis son arrivé ici et il ne montre aucune réaction à son entourage."
"Dans ce cas vous ne verriez pas d'objection à ce que je le rencontre un moment, seul à seul ? Voyez-vous j'ai perdu la mémoire mais je pense que la vue du pasteur pourrait provoquer en moi des souvenirs, enfin je l'espère."
"Très bien mon fils, j'accepte mais il est tard, vous le verrez demain. En attendant vous pouvez dormir ici dans la salle commune. J'enverrais un frère vous mener à sa chambre dès l'aube."
Je me résous donc à passer une nuit de plus à attendre si prés du but.
Je m'endors seul, désespéré par les événements.
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Le jour se lève sur mon désespoir, j'entends le son clair des sandales de cuir des moines sur la pierre. Un frère approche de la salle commune. Je languis cet instant depuis la veille. A son entrée, je suis déjà debout, mes affaires rassemblées, prêt à le suivre. Nous traversons l'un derrière l'autre les longs couloirs du sanatorium ou nous croisons quelques malades encapuchonnés de bure. Il me mène devant la porte entrebâillée d'une petite cellule, me la montre du doigt sans mot dire et s'en retourne à ses occupations.
Je pousse le lourd battant et le referme derrière moi.
Dans la chambre, une paillasse simpliste d'un coté et une table ainsi que sa chaise assortie de l'autre, sont les seuls meubles. Entre les deux, sur le mur du fond, une petite fenêtre à 2m50 du sol par laquelle on ne distingue qu'un morceau de ciel. Et devant moi, de dos, un homme regardant vers l'ouverture.
"Pasteur Simon ?"
Il se retourne lentement, les yeux dans le vide, bouche béante et lorsqu'il m'aperçoit le ciel s'ouvre en deux et la foudre s'abat dans la chambre.
Il se met à hurler tel un dément, tente de plonger sous sa couche, s'arrache les cheveux, bat des bras, tourne sur lui et répète sans cesse : "Il est revenu, il est revenu, il est revenu"
Je l'attrape, le ceinture d'une de mes mains et plaque l'autre sur sa bouche.
Il est coincé, silencieux, mais ses yeux continuent de hurler, pétrifié par mon regard.
Je lui parle, longuement, je lui raconte tout ce que je sais ; ma perte de mémoire, l'apparition du démon, ma recherche du passé, toute la route remontée, mon arrivé jusqu'à lui. Je lui explique que je ne suis plus le même homme, que lui seul peut m'aider à savoir, que je ne lui ferai rien même s'il se tait, je le supplie, mes larmes coulent, il est mon ultime espoir. Peu à peu son souffle redevient régulier, il semble se calmer, même s'il n'est pas encore tout à fait rassuré. Je retire ma main, relâche mon étreinte et le laisse se reprendre.
"Trois ans, voilà trois ans que je suis plongé dans une non vie et tout ça par votre faute. Enfin, vous venez de m'en sortir, je suppose que c'était la seule issue possible. Votre seule vue à suffit à me tirer de mon coma éveillé, mon existence va pouvoir reprendre là ou elle s'était arrêtée. Très bien, alors je vais tout vous raconter, prenez ma chaise, installez vous bien et écoutez votre histoire. Écoutez quel monstre vous avez été."
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"Pendant de nombreuses années, j'ai été au service de la famille Mayfair. Lorsque leur fille est née, j'ai été nommé précepteur afin de parfaire son éducation. Mais mes maîtres vouaient une adoration sans faille pour un démon supérieur, et dès son plus jeune âge, leur fille lui a été promise. J'ai dû l'éduquer pour la préparer à lui être offerte à sa majorité. Petit à petit j’insinuais dans mon éducation des principes devant l'amener à adorer le grand démon, mais malgré mon travail, ou peut-être qu'inconsciemment j'agissais en ce sens, elle a développé un esprit très fort et de plus en plus révolté par son destin. Plus la date fatidique approchait et plus elle s'échappait de mon emprise. Ses parents n'intervenaient pas dans mon travail et je leur cachais la réalité. Jusqu'au jour ou ce qui devait arriver, arriva.
Elle s'enfuit quelques semaines avant qu'elle ne soit offerte. Mes maîtres furent épouvantés, angoissant chaque jour la réaction de leur prince du mal. Elle ne se fît pas attendre et fût à la mesure de leurs appréhensions.
"IL" t'envoya pour le représenter. C'est ce jour-là que je fît ta douloureuse connaissance. Après avoir massacré tous les membres du personnel en un instant d'une rare violence, tu vins à la rencontre de mes maîtres et de moi-même, réunis dans la pièce principale, tremblants, pétrifiés par les hurlements d'horreur. Après leur avoir annoncé la sentence de mort décidée par ton dieu, et malgré leurs supplications, tu exécutas ton travail. T'approchant tout d'abord de mon maître, le saisissant par la gorge, tu plongeas ta main entre ses côtes et lui arrachas le coeur, puis tranquillement tu le rangeas dans un coffret à deux places. Puis tu te retournas vers ma maîtresse et lui indiquant la seconde place dans le coffret tu lui dit :
"Il me manque un trophée, catin."
Ce que tu ne savais pas, c'est qu'elle était versée dans la sorcellerie depuis longtemps déjà, c'était une alchimiste réputée et une apprentie nécromancienne de talent. Elle connaissait les secrets des préparations de philtres puissants et maîtrisait l'art de l'enchantement. Sa fille lui manquait et depuis sa disparition elle avait beaucoup réfléchie à ses actes et ses choix, et peu à peu elle avait compris et acceptée sa fuite. Son dernier geste alors que tu t'approchais d'elle, prêt à l'occire, ne fût pas pour sauver sa vie, elle savait qu'elle méritait sa mort, non, son dernier geste fût pour la protéger elle.
Tandis que ta main plongeait au plus profond de ses entrailles, elle récita en pleurant un enchantement tiré d'un ancien livre de puissantes incantations. Elle savait que tu rechercherais sa fille après les avoir puni, pour la ramener à ton dieu, elle savait aussi que le démon majeur te tenait par un enchantement plus puissant qu'aucun qu'elle puisse lancer. Elle se contenta donc de concentrer toute son énergie à t'envoûter pour modifier ta quête macabre. Tu continuerais à rechercher sa fille, massacrant tout sur ta route qui se mettrait en travers de ton but, mais au moment où tu la retrouverais, tu ne préviendrais pas ton dieu, mais tu ferais tout pour la protéger et cacher sa fuite des yeux perçants de ton maître. Sans te rendre compte de sa manoeuvre tu restas concentré sur ton travail d'assassin.
Puis elle succomba entre tes mains, et son coeur lui fût ôté pour rejoindre celui de son mari. Alors que je pensais être le prochain sur la liste, il n'en fût rien. Tu t'approchas de moi, tira un tisonnier du feu et me saisi par le col.
"J'ai accompli mon oeuvre ici, valet, ma prochaine cible et la promise du roi démon, si tu ne te mets pas en travers de ma route, tu seras sauvé. Mais en attendant tu vas me dire dans quelle direction elle est partie."Alors tu commenças la torture, le tisonnier fût présenté à plusieurs parties de mon corps et j'en porte toujours les traces. La douleur était telle que je parlais vite, et te dit tout ce que je savais. Mais par sadisme tu continuas ton petit jeu jusqu'à ce que mon esprit ne pouvant plus supporter la douleur préféra s'échapper de mon corps.
Il se tût, des larmes roulaient sur mes joues, j'expiais la douleur que j'avais prodigué, j'étais à la limite de perdre la raison à mon tour.
"Ainsi c'est ici qu'à commencé ma longue traque, elle a durée trois semaines environ jusqu'à la ville de Baduk ou je semble avoir perdu la raison et oublié toute cette histoire. Ce pourrait-il que je l'ai retrouvé ?"
"Oui, c'est la seule explication à ton amnésie. A mon avis tu l'as traqué sans fin, et le jour ou tu l'as enfin retrouvé les deux enchantements pesants sur toi sont entrés en confrontation. Ces deux sorts étaient des plus puissants et tu ne pouvais accomplir les deux à la fois, ils ont lutté en toi pour prendre l'ascendant sur ton esprit, et ont finis par s'annuler l'un l'autre, non sans avoir fait beaucoup de dégâts dans ta tête. Je pense que tu avais seulement une chance sur mille d'en ressortir vivant, le choc aurait dû te tuer sur le coup, mais heureusement pour toi, une deuxième chance t'a été offerte, seuls tes souvenirs sont morts.
Après ça tu as repris une nouvelle vie, oubliant tout de la précédente."
"Comment s'appelait cette fille que je devais rattraper ?"
"Et bien lorsqu'elle s'est enfuie, elle a pris un autre nom que le sien pour éviter de laisser des traces derrière elle, elle en a choisi un qui lui tenait à coeur. Elle est partie sous le nom d'Alexiel Cry"
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Je mis assez longtemps à me remettre de cette nouvelle qui chamboulait toute mon existence. Mais personne d'autre que moi n'était au courant et personne ne saurais jamais, je devais à tout prix garder ce secret enfoui en moi. Rapidement la raison reprit le dessus sur mon affolement. Il fallait avant tout me renseigner sur le moyen d'échapper au démon.
"Mais le démon majeur ? Pourquoi ne m'a-t-il pas rappelé ? Pourquoi a-t-il envoyé un de ses sbires ? Et pourquoi celui-ci ne m'a-t-il rien dit, se contentant de m'aider à trouver mon chemin jusqu'ici ?"
"Je peux t'expliquer ça aussi. Avant ton arrivé et mon séjour dans ce sanatorium ou je fût nommé Pasteur Simon, lorsque j'étais au service des Mayfair, j'étais moi-même un adepte du roi démon, comme mes maîtres. Je sais quels sont ses pouvoirs, ce qu'il ne peut pas faire. Tu es une de ces nombreuses créatures, il t'a façonné, il capture des hommes et les envoûte. Il leur donne la force et la vitesse, il modifie leur corps et leur accorde une partie de sa puissance. Puis il les ensorcelle pour les utiliser. Mais cet envoûtement doit rester secret, ses victimes ne devant pas savoir qu'ils travaillent pour lui au risque qu'ils refusent leur tâche ou abusent de leurs pouvoirs. C'est pour ça qu'il n'est pas intervenu, il n'a pas le pouvoir de t'expliquer son sortilège, il devait te faire retrouver ta mémoire sans que tu te doute de rien, maintenant que tu sais il va enfin pouvoir te récupérer. Le monstre qui est à tes trousses va pouvoir t'attraper et appeler son maître pour te ramener à lui, et tu seras puni pour ton échec."
"Aide moi à lui échapper, tu sais des choses sur eux, tu doit savoir comment leur résister."
"Et sinon, que feras-tu ? Tu vas me torturer à nouveau ?"
"Non, je ne ferai rien, j'ai agis sous son emprise, je n'étais pas maître de mes actes, seul le démon majeur est responsable de tes douleurs, moi je n'ai été qu'un pantin entre ses mains, si tu veux vraiment punir le responsable de tes souffrances alors aide moi à lutter contre lui."
Mes mots portent, ils font leur effet, le pasteur réfléchi un instant, puis baissant les yeux :
"Tu as raison, je vais t'aider à lui échapper. Tant que tu restes au sanatorium, tu ne risques rien, tu vas donc m'attendre ici. Je vais aller préparer un piège pour l'annihiler, dès demain tu vas ressortir de la ville par le pont à l'Est, à cinq minutes de marche tu verras un petit temple sur la droite. Il est à l'abandon, c'est un ancien lieu ou nous cultivions avec mes maîtres le culte du dieu démoniaque, je vais m'y rendre et le préparer pour y emprisonner celui qui est à tes trousses. Toi tu vas te contenter de me l'amener. Lorsqu'il te verra quitter la ville, il va t'apparaître pour t'ordonner d'y retourner. Ne lui obéi pas et court dans le temple, il te suivra, reconnaissant ce lieu, et une fois à l'intérieur, nous le détruirons."
Ainsi fût fait, dès le lendemain je quittais la ville précipitamment par l'Est, et comme l'avais prévu le pasteur, à peine le pont franchi je senti mes os se glacer. Je me retourne et il est là, derrière moi, ses longs doigts décharnés tendus dans ma direction.
"Ou vvvvvvva tuuuuu ? La réponsssssssse à tes quessssssstions est iccccccci ."
J’aperçois le petit temple derrière moi, mais mes pieds sont comme enracinés, je n'arrive pas à me lancer. Alors Xena me parle soudain :
"Cours mon enfant, cours pour sauver ta vie, la peur paralyse, mais seul les braves parviennent à la combattre. Prouve moi ta force"
Mon coeur se met à tambouriner dans ma poitrine, le sang afflue dans mes membres glacés, la vie me parcourt en un frisson, et soudain je reprend mes esprits.
"Je vais ou je veux, démon, personne ne me dicte ma conduite."
Je file comme le vent, je sens le souffle du petit matin me caresser le visage, je ne pense plus à rien, j'ai tout oublié, je sais juste une chose, je cours plus vite que jamais, je cours pour échapper au démon, je cours pour échapper à mon passé, je cours pour rattraper ma vie.
Je franchis la porte de la chapelle abandonnée le démon sur mes talons, chuintant comme jamais. A peine entrés, la porte se referme, le démon comprend en un instant que cet ancien temple dédié à son maître a été purifié par un prêtre. Il est pris au piège, il se met à hurler, mes tympans semblent prêts à se briser, le pasteur l'arrose d'eau bénite, et il se met à fumer de tous ses pores. La puanteur qui se dégage de son corps en décomposition est infecte, j'en ai la nausée, il se liquéfie sur place, ses cris sont terribles, toutes les fenêtres de la petite chapelle explosent en choeur, il me maudit et tandis qu'il succombe il lance une boule d'énergie sur moi. Le pasteur vigilant s'interpose et la reçoit de plein fouet.
Le démon n'est plus mais Simon va le suivre dans l'au-delà.
Je le prend dans mes bras et il me chuchote dans un dernier souffle :
"Va mon fils, tu n'as été qu'un instrument, j'ai payé pour mes péchés, fait que ma mort ne soit pas vaine, tu vas pouvoir reprendre ta vie en main."
Puis il s'éteint dans un soupir.
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Je suis de retour sur les terres de Silver, ma quête est terminée, ma vie peut reprendre son cours. Mais toutes ces découvertes sur mon histoire ont modifié ma perception des choses. Je ne peux pas continuer comme par le passé en oubliant ce que je suis. Ma force, ma résistance, mon habileté, toutes mes compétences me viennent du démon et je ne dois pas le renier. Je suis un être humain modifié par la puissance des ténèbres, dans mes veines coule le flux maudit de l'indicible. Je ne peut résister à l'appel du sang, je ne doit pas lui résister, ce serai perdre une partie de moi-même, ce serai m'amputer de tout un pan de ma vie, or si j'ai bien appris quelque chose c'est que notre passé nous sert de base pour se construire solidement, toutes ces racines sont celles sur lesquelles je doit bâtir ma vie.
Mais autre chose me pousse à présent, une autre vision de la vie m'étreint. Le pasteur m'a appris le renoncement, le pardon, le repentir, grâce à son sacrifice je suis un nouvel homme, et dans mon âme souffle le vent de l'amour de son prochain. Comme lui j'ai envie de consacrer ma vie aux autres, d'apporter soulagement et réconfort, de me battre pour propager la bonne parole.
Ces deux personnages cohabitent en moi, ne luttant pas l'un contre l'autre, mais se complétant pour me donner vie. Je ne dois rien regretter. Je suis empli de ces sentiments si contradictoires. Pourtant si l'on y réfléchi bien, y a-t-il vraiment une si grande opposition entre ces sentiments ?
Tout ce qui est, tout ce qui vit, n'est-il pas constitué de ce mélange ? Rien n'est tout blanc ou tout noir, en chacun de nous il y a une part de lumière et de ténèbres.
Je suis ce que je suis, et ma vie prend un nouveau tournant.
Je sens une puissance nouvelle s'éveiller en moi.
Je frapperai sans colère et sans haine, comme un boucher ! Comme un géant de pierre sur des rochers, et je ferai de vos paupières, pour abreuver mon désert froid, jaillir les eaux de la souffrance; mon désir gonflé d'espérance sur vos pleurs salés nagera, comme un vaisseau qui prend le large, et dans mon coeur qu'ils soûleront vos chers sanglots retentiront comme un tambour qui bat la charge !
Ne suis-je pas un faux accord dans la divine harmonie, grâce à la vorace ironie qui me secoue et qui me mord ?
Elle est dans ma voix, la criarde ! C’est tout mon sang ce poison noir ! Je suis le sinistre miroir où la mégère se regarde.
Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, et la victime et le bourreau ! Je suis de mon coeur le vampire, un de ces grands abandonnés au rire éternel condamné, et qui ne peuvent plus sourire ! *
Aujourd'hui est un grand jour, car je renais sur ces terres, aujourd'hui est le premier jour du Pasteur Sanglant.
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* tiré du Nosferatu de Druillet (un peu modifié)
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